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La raison des plus forts

La raison des plus forts est censée être toujours la meilleure, mais les faibles ont aussi leurs armes. Catherine, au caractère forgé par les épreuves de sa jeunesse, et Marc, qui possède tous les atouts de la réussite, sont des « forts », qui se rencontrent et se reconnaissent. Mais Marianne, la femme de Marc, et à un degré moindre, le très jeune Thomas, ne vont-ils pas être, par leur fragilité même, un obstacle insurmontable ? Le poids de leur dépendance sera-t-il suffisant pour empêcher la réussite de ces deux êtres faits l'un pour l'autre ?

Un extrait :

Le « monsieur d'en face », très absorbé par la lecture d'un journal financier, sans quitter son air rogue et sans la regarder, déplaça son plateau de quelques centimètres. Elle aurait bien voulu ne pas être frappée par la puissance de la main ferme aux doigts longs, à l'annulaire cerclé d'une large alliance plate, ne pas remarquer ce visage aux traits nets, ces cheveux drus et soignés... Décidément, c'est le jour des réactions regrettables : voilà que je me laisse émouvoir par le premier beau garçon venu. Thomas m'agace de plus en plus. Il faut que je lui trouve un remplaçant, dans le genre de celui-ci, par exemple, et qui soit disponible !

L'homme leva les yeux ; son regard rencontra celui de Catherine, qui se sentit prise soudain d'un intérêt passionné pour le livre qu'elle maintenait ouvert. Il éprouva une sorte de surprise : pas mal du tout, cette petite. L'oil vif, la pommette bien dessinée, la bouche charnue, le geste décidé : dans son tailleur strict, un composé de rigueur et de sensualité qui forçait l'attention. Pourquoi est-elle venue là alors qu'il y a tant de place autour ? Provocation ? Désolé, mademoiselle, vous perdez votre temps. Quand on traîne une Marianne dans sa vie, on ne va pas s'encombrer en plus de femmes douées d'une volonté propre. On consomme de temps en temps une belle fille un peu plantureuse qui ne coupe pas les cheveux en quatre et puis, on pense à des affaires d'homme. En fait, elle ne s'occupe pas de moi : une intellectuelle perdue dans ses nuages, sans doute. Lecture d'avant-garde, bien entendu.

En même temps, ils allongèrent le bras vers le pot de moutarde et leurs mains se frôlèrent. Elle leva la tête et sourit brusquement :

- Un peu moins que le minimum vital, n'est-ce pas ? Vous pensez que j'aurais pu m'installer ailleurs...

- Je ne me permettrais pas...

- Pourtant, vous en auriez le droit ! Je vous dois des excuses. Mais j'ai tellement l'habitude de cette place que je la considère comme ma propriété et j'ai très mal pris de me la voir confisquée.

- Il fallait me le dire ; je me serais empressé de vous la céder. Je connais les devoirs que m'impose notre bonne vieille galanterie française.

- Je n'en demande pas tant ! C'est moi qui m'en vais, d'ailleurs.
 

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